Kabylie-Algérie : Un Conflit Identitaire Profond et Persistant
Des Racines Antiques à la Proclamation d’Indépendance en 2025

La Kabylie, région montagneuse amazighe du nord de l’Algérie, incarne l’une des plus anciennes résistances politiques, culturelles et identitaires d’Afrique du Nord face à l’assimilation forcée et à la centralisation autoritaire. Peuple autochtone enraciné depuis des millénaires, les Kabyles ont préservé leur langue (tamazight), leurs institutions villageoises démocratiques (tajmaât), ainsi qu’une culture profondément pluraliste, laïque et égalitaire. Cette singularité, souvent perçue comme une anomalie par les pouvoirs centraux successifs, a valu à la Kabylie une longue histoire de répression, depuis les conquêtes religieuses médiévales jusqu’à l’État algérien post-indépendance.
La proclamation symbolique de l’indépendance de la « République fédérale de Kabylie », le 14 décembre 2025 à Paris, marque l’aboutissement d’un conflit ancien opposant une identité résiliente – portée par un haut niveau éducatif et une diaspora influente – à un État accusé d’imposer une vision arabo-islamique exclusive, au détriment des droits culturels, linguistiques et politiques fondamentaux.
Préhistoire et Antiquité : Racines Amazighes Pré-Islamiques
Les Kabyles descendent des Numides et des Maures, peuples amazighs autochtones d’Afrique du Nord. Bien avant l’islam, la région est un carrefour de civilisations : phénicienne, carthaginoise, romaine et byzantine. Des croyances polythéistes locales y coexistent avec le judaïsme et surtout le christianisme, solidement implanté dès le IIᵉ siècle.
La Kabylie est intimement liée à l’histoire du christianisme berbère, notamment à travers Saint Augustin d’Hippone, né à Thagaste (Souk Ahras), aux marges de l’espace kabyle. Le donatisme, mouvement chrétien rigoriste et indigène, exprime déjà une résistance à l’autorité impériale romaine et à la centralisation religieuse, préfigurant des siècles de dissidence kabyle face aux pouvoirs imposés.
Arrivée de l’Islam et de la Langue Arabe (VIIᵉ–XIIᵉ siècles) : Résistance Féroce et Islamisation Graduelle
La conquête arabo-islamique débute au VIIᵉ siècle et rencontre une résistance acharnée. Le chef berbère Kusayla unifie les tribus contre l’expansion omeyyade. Après sa mort, la reine Dihya, dite la Kahina, devient la figure emblématique de cette lutte. Elle mène une guerre de guérilla dans les Aurès et la Kabylie jusqu’à sa défaite vers 703, entrant dans la mémoire collective comme symbole de souveraineté amazighe.
Les montagnes kabyles, difficilement accessibles, demeurent longtemps hors du contrôle des conquérants. L’islamisation s’y fait lentement, souvent par l’intermédiaire de confréries soufies et de marabouts intégrant des pratiques locales. Il en résulte un islam kabyle syncrétique, tolérant et largement sécularisé. L’arabisation linguistique reste marginale : le tamazight demeure dominant, et l’organisation sociale traditionnelle perdure.
Durant le Moyen Âge, des entités politiques indépendantes émergent, comme les Kutama, alliés des Fatimides, ou les Hammadides, témoignant d’une capacité kabyle à s’organiser en dehors des empires dominants.
Période Ottomane (XVIᵉ–XIXᵉ siècles) : Autonomie Préservée
Sous la Régence d’Alger, l’autorité ottomane se limite essentiellement aux plaines et aux ports. La Kabylie conserve une autonomie quasi totale. Les deys d’Alger évitent les montagnes, se contentant d’accords fiscaux ponctuels.
Des royaumes kabyles comme Koukou et Aït Abbas fonctionnent indépendamment, avec des systèmes politiques fondés sur les assemblées villageoises (tajmaât), souvent citées par les anthropologues comme des formes précoces de démocratie locale.
Colonisation Française (1830–1962) : Répression Brutale et Déportations
La conquête française de la Kabylie est tardive et violente. Elle ne s’achève qu’en 1857, après une résistance héroïque menée notamment par Lalla Fadhma N’Soumer, figure féminine majeure de la lutte anticoloniale.
L’insurrection de 1871, dirigée par El Mokrani, mobilise des centaines de tribus contre les expropriations massives. La répression est féroce : villages incendiés, terres confisquées, élites décimées. Entre 1864 et 1897, environ 2 000 Algériens, majoritairement kabyles, sont déportés en Nouvelle-Calédonie dans des conditions inhumaines. Beaucoup y meurent du scorbut et des maladies ; d’autres y fondent des lignées toujours présentes à Bourail ou Nouméa.
Parallèlement, l’administration coloniale développe le « mythe kabyle », opposant artificiellement des Kabyles supposément laïcs et démocratiques à des « Arabes » décrits comme fanatiques, une construction idéologique destinée à diviser la société algérienne.
Crise Berbériste (1949) et Guerre d’Indépendance (1954–1962) : Marginalisation et Assassinats Ciblés
Dès 1949, au sein du PPA-MTLD, des militants kabyles dénoncent la définition exclusive de l’Algérie comme nation « arabo-musulmane ». Accusés de « berbérisme », ils sont purgés des instances dirigeantes.
Pendant la guerre d’indépendance, les Kabyles jouent pourtant un rôle central : Krim Belkacem, Abane Ramdane, Amirouche Aït Hamouda figurent parmi les architectes de la lutte. Mais les tensions idéologiques persistent. Plusieurs figures kabyles sont assassinées ou marginalisées, souvent sous couvert de discipline révolutionnaire.
Après 1962, la répression se poursuit : Hocine Aït Ahmed est contraint à l’exil ; Krim Belkacem est assassiné à Francfort en 1970 ; Mohamed Khider est tué à Madrid en 1967.
Post-Indépendance : Arabisation Forcée et Répression Structurelle
L’Algérie indépendante impose une arabisation autoritaire, marginalisant le tamazight et criminalisant toute revendication identitaire. La Kabylie se soulève dès 1963 avec la rébellion du FFS, brutalement écrasée.
– Printemps berbère (1980) : l’interdiction d’une conférence de Mouloud Mammeri déclenche une vague de manifestations. Arrestations massives, tortures et censure marquent un tournant dans la conscience politique kabyle.
– Printemps noir (2001) : après l’assassinat du jeune Massinissa Guermah par la gendarmerie, la région s’embrase. Le bilan est lourd : 126 morts, des milliers de blessés. De cette révolte naît le MAK (Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie).
Depuis 2021, le MAK est classé « terroriste » par Alger, sans reconnaissance internationale. Arrestations arbitraires, procès politiques et enlèvements extraterritoriaux se multiplient. Le cas de Slimane Bouhafs, chrétien kabyle enlevé en Tunisie, torturé et toujours menacé en 2025, illustre cette dérive répressive.
Diaspora Kabyle : Capital Humain et Mobilisation Internationale
Malgré la marginalisation, la Kabylie affiche un niveau éducatif parmi les plus élevés du pays. Les wilayas de Tizi Ouzou et Béjaïa dominent régulièrement les classements nationaux aux examens, héritage d’une tradition ancienne valorisant le savoir et l’autonomie intellectuelle.
La diaspora kabyle – estimée à plus d’un million de personnes en Europe et en Amérique du Nord – est largement intégrée : entrepreneurs, universitaires, artistes, ingénieurs. Elle joue un rôle central dans l’internationalisation de la cause kabyle, notamment auprès des institutions européennes et onusiennes.
2025 : Proclamation d’Indépendance et Internationalisation du Conflit
Le 14 décembre 2025, Ferhat Mehenni, président de l’Anavad (gouvernement kabyle en exil), proclame l’indépendance pacifique de la Kabylie à Paris, au nom du droit à l’autodétermination. Alger dénonce un « complot séparatiste ».
Dans le même temps, les rapports 2025 d’Amnesty International, de Human Rights Watch et de Freedom House qualifient l’Algérie d’« État non libre », pointant la criminalisation de l’expression identitaire, la fermeture d’églises, et la répression des minorités religieuses et culturelles.
Conclusion
Le conflit kabyle oppose aujourd’hui une résilience autochtone, nourrie par l’éducation, la diaspora et des valeurs laïques, à un autoritarisme identitaire fondé sur l’uniformisation. La proclamation de 2025 a fait basculer la question kabyle dans l’arène internationale, posant une question centrale : celle des droits des peuples autochtones face aux États postcoloniaux centralisateurs.
Malgré la répression, la voix kabyle demeure pacifique, déterminée et profondément politique, refusant l’effacement au nom d’une unité imposée.
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