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Yennayer et Noël en Algérie : de la répression idéologique aux symboles contrôlés

Enquête sur une reconnaissance culturelle sous surveillance politique

Alger / Tizi Ouzou — En 2015, un article du site Tamurt.info faisait état d’une campagne islamiste à Alger visant explicitement les célébrations de Noël et de Yennayer. Des affiches hostiles placardées dans l’espace public, l’implication d’enfants dans la diffusion de messages de rejet et des appels à la violence y étaient documentés. Ces agissements, selon l’article, se déroulaient dans un climat d’impunité, les autorités étant accusées de passivité, voire de tolérance tacite. À l’époque, ces faits illustraient une intolérance marquée envers les traditions chrétiennes et amazighes, perçues comme marginales ou menaçantes par certains courants idéologiques.

Dix ans plus tard, le contraste est saisissant, du moins en apparence. Yennayer est aujourd’hui un jour férié officiel, célébré à l’échelle nationale, tandis que les campagnes hostiles publiques ont disparu du paysage médiatique. Cette évolution interroge : s’agit-il d’un progrès réel en matière de reconnaissance culturelle, ou d’un repositionnement stratégique du pouvoir algérien face aux revendications identitaires, notamment en Kabylie ?

2017–2018 : la décision politique

Le 27 décembre 2017, le président Abdelaziz Bouteflika décrète Yennayer jour férié, chômé et payé. La première célébration officielle a lieu le 12 janvier 2018, sous l’égide de l’État. Pour de nombreux observateurs internationaux, dont la BBC et Al Jazeera, cette décision marque une reconnaissance symbolique de la culture amazighe et s’inscrit dans une volonté affichée de renforcer l’unité nationale dans un pays marqué par des décennies de tensions identitaires.

Ces analyses soulignent que la mesure intervient après la reconnaissance constitutionnelle de tamazight comme langue nationale et officielle, et qu’elle répond à une demande ancienne de la société civile amazighe.

Une lecture radicalement différente en Kabylie

Mais sur le terrain kabyle, cette lecture est loin de faire consensus. Pour de nombreux militants, intellectuels et sympathisants du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), l’officialisation de Yennayer relève avant tout d’une manœuvre politique. C’est une stratégie de l’État algérien visant à neutraliser les revendications autonomistes par des concessions symboliques.

Selon ces acteurs, les célébrations organisées par l’État algérien ne visent pas à répondre aux aspirations profondes de la Kabylie, mais à freiner l’influence du MAK et à donner l’illusion d’une écoute des revendications. « Ce que l’État offre, c’est du folklore encadré, pas de la liberté », résume un militant kabyle interrogé sous couvert d’anonymat.

« Nous ne voulons pas du folklore, mais des droits »

Les critiques sont récurrentes : les Kabyles ne demanderaient pas des fêtes officielles ou des cérémonies institutionnelles, mais une liberté réelle dans tous les domaines — politique, linguistique, économique, culturel et médiatique. Pour eux, la célébration de Yennayer par l’État s’apparente à un outil d’endormissement politique, destiné à masquer la persistance d’un système qu’ils qualifient de centralisé et autoritaire.

« Tant que les libertés fondamentales sont restreintes, que l’expression politique est criminalisée et que les revendications d’autodétermination sont réprimées, aucune reconnaissance culturelle ne peut être sincère », affirme un universitaire kabyle basé à Tizi Ouzou.

Noël : une tolérance sous conditions

En parallèle, la situation des chrétiens en Algérie reste plus fragile. Si aucun incident majeur lié à Noël n’a été signalé ces dernières années, des organisations de défense des droits humains continuent de documenter la fermeture administrative d’églises et les restrictions imposées au culte non musulman. Là encore, l’absence de violence ouverte ne signifie pas une liberté pleine et entière, mais plutôt une tolérance strictement contrôlée.

Cette différence de traitement souligne une constante : la reconnaissance des minorités culturelles et religieuses semble acceptable tant qu’elle ne remet pas en cause l’architecture politique du pouvoir.

Une évolution réelle ou un changement de méthode ?

Entre 2015 et 2025, l’Algérie est passée d’une phase de tolérance passive envers des campagnes idéologiques hostiles à une phase de gestion institutionnelle des symboles culturels. Pour certains, cette évolution constitue un progrès indéniable. Pour d’autres, notamment en Kabylie, elle marque surtout un changement de méthode, où la répression frontale cède la place à une intégration symbolique destinée à préserver le statu quo.

Au-delà des festivités et des discours officiels, la question demeure : la reconnaissance culturelle peut-elle remplacer la reconnaissance politique ? Pour une partie de la population kabyle, la réponse est clairement négative. Et tant que cette fracture persistera, Yennayer restera, pour eux, moins un jour de fête qu’un révélateur des limites du pluralisme algérien.

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